Il faisait grisonnant, pluvieux, nuageux. Pas très beau, en somme. Ce milieu d'après midi n'était pas très glorieux pour un jour de saison des feuilles vertes. Même si la température était correcte, un petit vent froid venait provoquer des frissons. Les arbres semblaient avoir perdu leurs belles couleurs, et les proies ne se manifestaient pas beaucoup. Les oiseaux ne poussaient que quelques cris perdus. La forêt restait silencieuse, comme frustrée.
Soudain, un vol d'oiseaux paniqués s'envola au dessus de la cîme des arbres, brisant la lassitude. Puis, quelques dizaines de queues de renard plus loin, deux lièvres détalèrent de la forêt, traversèrent une petite clairière et disparurent dans les buissons. Un troisième sortit des fourrés quelques secondes plus tard, et Ombre Maudite apparut à ses trousses immédiatement après. Les puissantes pattes du guerrier martelaient le sol à une vitesse vertigineuse, et sa longue fourrure était emportée par le vent de la course. Son visage était fermé, concentré à l'extrême, et ses pupilles étaient fixées sur les deux oreilles brunes du lièvre dont il comptait bien briser la nuque d'un coup de crocs. Le lièvre était très rapide, mais il fit l'erreur d'amorcer un tournant dans la panique. Le guerrier du clan de l'Ombre coupa alors la courbe et bondit dessus d'un coup de reins phénoménal, les pattes avant tendues vers l'avant. Il plaqua sa proie à l'aide de ces dernières, et alors les deux bêtes disparurent dans un roulé boulé de poils et de poussière. Puis, il y eut quelques secondes de silence et d'inactivité.
Ombre Maudite releva la tête, le regard rivé sur le corps sans vie à ses pattes. Il cracha les poils qu'il avait à moitié avalé et se passa une patte sur la gueule, avant de murmurer d'une voix sans véritable teint tout en regardant sa proie :
- Eh bien, on pourra dire que tu m'en auras fait baver...
En effet, il était tombé sur un terrier entier de lièvres dans la forêt. Tous avaient détalé, mais le guerrier avait réussi à attraper le dernier, le plus lent. Sauf que la bestiole lui avait fichu des coups de pattes arrière dans la gueule, ce qui lui avait fait malencontreusement lâcher prise. Il l'avait ensuite trainé dans les ronces, les fourrés, avant d'enfin gambader dans la clairière, où le guerrier avait enfin réussi à l'attraper.
Il l'enterra rapidement, et se rendit soudain compte qu'il entendait l'eau couler. Il releva la tête et huma l'air ; pas de doute, c'était de l'eau qu'il sentait. Il se dirigea à pas souples vers la source du bruit. Il quitta la clairière et s'enfonça un peu dans les bois, mais bien vite ces derniers débouchèrent sur une rivière.
Ombre Maudite s'en approcha et immédiatement la forte odeur du clan de la Rivière lui monta au nez. Il fronça les narines ; s'était-il autant éloigné du campement que ça ? Il examina alors un peu plus la rivière ; le clapotis de l'eau sur les rochers, et, de temps en temps, des éclaboussures signalant le passage d'un poisson rosé... Pas de doute, c'était bien la rivière aux saumons, qui faisait la limite entre le clan de la rivière et le clan de l'ombre.
Le guerrier avala sa salive et se rendit compte qu'il avait la gorge asséchée par la soif. Après avoir vérifié que personne n'était présent sur la berge opposée, il se pencha au dessus de l'eau et s'accroupit pour laper l'eau cristalline. De multiples gouttelettes venaient éclabousser sa figure et ses moustaches, et bientôt ses longs poils dégoulinèrent en dessous de son menton.
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